La Théorie des formes

Introduction

Ceux qui conçoivent eux-mêmes leurs boomerangs savent combien la forme est déterminante pour le vol… Si les formes classiques (aborigène, « A », Napo, hook, etc…) sont maintenant bien connues et maîtrisées, il n’en est pas de même avec les boomerangs aux formes complexes.

Or celles-ci se multiplient, et c’est intéressant car elles procurent une double satisfaction : la beauté de l’objet en lui-même (décoration) et son vol souvent original.

Cet article va vous aider à concevoir des formes complexes qui reviennent parfaitement. Il s’agit seulement d’un résumé de la « théorie des formes » de Didier BONIN. La version complète est disponible dans le livre L’essentiel du boomerang.

Sommaire :

  1. forme et centre de gravité
  2. notions de base
  3. formes neutres et non-neutres
  4. rôle du profil des pales
  5. les clés de la théorie

Forme d’un boomerang et centre de gravité

La caractéristique la plus importante d’un boomerang (en ce qui concerne son design) est son centre de gravité (CG). Comment le trouver facilement ? Voici 2 méthodes :

  1. Méthode I
    Scotchez votre boomerang sur une feuille de papier.
    Suspendez le tout à l’aide d’une punaise ou d’un clou en le laissant se balancer, avec un fil à plomb accroché au clou. A l’équilibre, tracez un trait sur la feuille à l’endroit du fil.
    Répétez l’opération en piquant la feuille avec le clou à 2 autres endroits.
    Les 3 traits doivent se couper en 1 seul point : c’est le centre de gravité.
  2. Méthode II
    Scotchez votre boomerang sur une feuille de papier.
    Approchez l’ensemble au bord d’une table jusqu’à la limite de l’équilibre. Marquez alors un pli sur la feuille.
    En orientant la feuille différemment et en répétant l’opération, le croisement des plis vous donnera le centre de gravité.

Par stabilité gyroscopique, la masse du boomerang se met en rotation autour de son CG. Ainsi, dès que vous transformez la forme, vous changez l’emplacement de son CG et, par voie de conséquence, l’action des forces aérodynamiques (FAD) par rapport à ce CG.

Notions de base

Quand on lance un boomerang, on lui imprime à la fois un mouvement de translation (avec le bras) et un mouvement de rotation (avec le poignet). Grâce aux profils, chaque pale va engendrer des FAD tout au long de chaque rotation. C’est en position haute que chaque pale développera un maximum de FAD, car les vitesses de translation et de rotation s’ajoutent, alors qu’elles se retranchent en position basse (c’est le principe des pales avançantes et reculantes des hélicoptères).

Sur une rotation complète, toutes les FAD développées par les différentes pales vont donner une résultante finale (somme des poussées) qui va se situer toujours au-dessus du c.g. Le décalage entre le centre des poussées et le c.g. va créer un moment de force « voulant » faire basculer le plan de rotation du boomerang autour de l’axe horizontal hh’…

Mais la réponse à cette bascule « virtuelle » va être provoquée par l’effet de précession gyroscopique, à 90° en avance du plan de sollicitation… En fait le plan de rotation va pivoter autour de l’axe vertical vv’… et le boomerang va acquérir une nouvelle orientation dans l’espace. (fig 1 et 2)

fig01
fig02

L’enchaînement de ces cycles successifs va engendrer la trajectoire globale du boomerang. Le boomerang se réoriente à chaque rotation et finit par décrire un cercle en revenant vers le lanceur. (fig 3)

fig03

Un boomerang classique est conçu pour être lancé avec une inclinaison quasi verticale. Attention ! le terme « quasi » est important : cette légère inclinaison est destinée à combattre le poids incontournable du boomerang !

Dans la plupart des cas, un boomerang classique va lentement se coucher tout au long de son vol et reprendre ainsi de la hauteur… Mais dans le même temps, perdant de l’énergie, il tombe lentement au sol !

Mais ce n’est pas toujours aussi simple, et nous allons voir comment la forme peut influencer la variation de l’inclinaison du boomerang pendant le vol…

Formes neutres et formes non neutres

Avec un boomerang conventionnel, le centre des poussées se situe sur l’axe vertical du plan de rotation : tant que les FAD agiront sur cet axe vertical, on dira que l’action de la forme des pales est « neutre ».

On dira qu’une forme est « non neutre » dès que le centre des poussées n’est plus situé sur l’axe vertical pris en compte jusqu’ici. Une pale peut suffire, de part sa forme, à décaler le centre des poussées de cette verticale faisant alors basculer le plan du boomerang différemment d’un boomerang neutre, et provoquant une trajectoire à tendance montante ou descendante.

Prenons l’exemple d’un tripale dont la forme plane des pales est légèrement courbée vers l’avant. (fig 9) Avec ce type de forme, le boomerang va garder une inclinaison proche de la verticale tout le long du vol, obtenant ainsi une trajectoire à tendance descendante, idéale par exemple pour l’épreuve de vitesse…

En effet, les trois pales vont donner leur maximum de f.a.d. toujours au-dessus du CG mais en léger décalage par rapport à la verticale du plan de rotation (on verra plus loin dans quelle position exacte les pales obtiennent leur maximum de FAD). Le boomerang va alors agir par rapport à un nouvel axe vertical. (fig 10) On voit sur la figure 11 comment le plan du boomerang se réoriente à chaque cycle de rotation :

fig09

Cet exemple illustre le nouveau design de boomerang de vitesse apparu vers 89-90 en compétition. (fig 9) Les tripales commençaient juste d’être tolérés. Avec des modèles réalisés par Doug DUFRESNE, Chet SNOUFFER ou Eric DARNELL, des lanceurs de pointe comme Grégory BISIAUX, Frido FROST ou dernièrement Adam RUHF ont alors pulvérisé les records de vitesse et d’endurance…

Quelques degrés de variation dans la courbure des pales auront suffi à révolutionner cette épreuve !

Inversement, si les pales sont légèrement courbées dans l’autre sens, le boomerang aura une trajectoire à tendance ascendante. (fig 12 u0026amp; 13)

fig12

On peut aussi obtenir ses effets avec des boomerangs (tripales) aux pales excentrées. (fig 14 à 17)

fig14

Revenons sur les formes bipales, qui ne sont pas forcément neutres. Que se passe-t-il avec une forme classique dite australienne (ou aborigène) ou banane ? (fig 18) Surprise ! On va voir que cette forme n’est pas si neutre qu’elle le semble…

fig18

On va observer que les pales (x) et (y) vont agir différemment l’une de l’autre. Lorsque la pale (x) va donner son maximum de f.a.d., elle va se trouver en arrière par rapport au c.g. (fig 19) Cette pale aura donc une influence descendante sur la trajectoire du boomerang.

Par contre, la pale (y) va donner son plein rendement en avant du c.g., ayant une influence ascendante sur la trajectoire… (fig 20)

Conclusion : si les 2 pales sont également profilées, les effets de forme vont se compense pour donner au bout du compte une trajectoire normale. Mais dès que les pales auront des profils différents, la plus efficace va être prépondérante et va engendrer un effet ascendant ou descendant.

Que se passe-t-il avec des formes complexes ? Prenons le cas de la forme avec des pales originalement courbées. (fig 26)

Dans le cas où on profilera fortement la zone (y) et peu la zone (x), la pale agira alors sur l’arrière avec un effet descendant sur la trajectoire.

Dans le cas où la zone (x) sera plus profilée que la zone (y), la pale aura son maximum des f.a.d. proche de la verticale du c.g. et donc un effet plus neutre… (fig 27) Le même principe peut être observé avec la forme du « Strange » : (fig 28)

fig26

Vous comprenez maintenant qu’en agissant à la fois sur la forme et le profil, les possibilités sont nombreuses. Sachez que plus la forme d’un boomerang sera complexe, plus il sera difficile à mettre au point et à régler. Egalement, il sera souvent plus délicat de bien le « placer » dans sa trajectoire au moment du lancer… Ainsi, les boomerangs aux formes plus complexes seront souvent plus capricieux…

Rôle du profil des pales

On avait jusqu’ici provisoirement isolé le facteur « profil » pour mieux observer le facteur « forme ». On va voir maintenant quel rôle joue le profilage en fonction de son efficacité. Prenons comme exemple notre tripale de vitesse à tendance descendante.

1er cas : si le boomerang est correctement profilé, on va bien obtenir une trajectoire légèrement descendante provoquée par la forme de départ. (fig 29)

fig29

2ème cas : si le boomerang a des pales plus étroites, les f.a.d. peuvent être plus fortes (mais souvent de courte durée !) et le boomerang risque de plonger très vite au sol. (fig 30) On peut dire dans ce cas que le boomerang est « trop profilé » ; il faudra alors réduire l’épaisseur de ce profil pour obtenir une action correcte.

fig30

3ème cas : si les pales sont faiblement profilées (ou si par exemple le boomerang a des pales plus larges), l’effet « plongeant » dû à la forme va être en partie ou totalement atténué et le boomerang retrouvera une trajectoire classique !

fig31

Voilà un point capital : la forme n’influera le vol que si le profil est complice… (fig 31)

Les clés de la théorie

3 facteurs pour un maximum de FAD

Comment savoir dans quelle position précise une pale va donner son maximum de FAD ? Trois facteurs vont vous aider à trouver cette position clé :

fig32

Facteur n°1 : C’est dans la position la plus haute du cercle de rotation que les vitesses de translation et de rotation vont s’ajouter pour atteindre un total maximum. Pour une forme neutre, la pale se trouvera alors sur l’axe vertical passant par le CG (fig 32)

Dans toutes les autres positions, la vitesse de rotation de la pale n’est plus dans l’axe de translation et perd donc de son efficacité par rapport au déplacement, c’est-à-dire par rapport au vent relatif qui engendre les FAD.

Facteur n°2 : C’est aussi dans cette position haute que la pale va présenter au déplacement une surface portante maximale. En aviation, on parlerait « d’allongement d’aile ». Ainsi, en position (y), la pale va présenter une « envergure maximum », supérieure à celle de la position (x) ou (z). (fig 33)

Facteur n°3 : Le dernier facteur à prendre en compte est la largeur de la section du profil par rapport au déplacement. Dans le cas de la figure 34, rien ne prouve qu’en position (b), la section de profil aura plus de rendement qu’en (a) ou (c) où elle sera alors un peu plus large.

C’est en fait un faux problème car si elle était par exemple plus efficace en position (a), elle le serait aussi en (c) et c’est donc la position intermédiaire (b) qui fera l’équilibre des forces…

Forme et trajectoire

Appliquons maintenant les 3 facteurs précédents à la forme de notre tripale non neutre type vitesse. Observons la figure 35 : le problème va être de savoir si la pale va donner plus de f.a.d. en position (y) ou (y’) ?

fig35

On peut deviner que la position (y) sera prépondérante car la surface portante y est déjà maximale et les vitesses de rotation et de translation agissent déjà dans le même sens par rapport au déplacement. La position (y’) sera presque aussi efficace. Il faut comprendre ici que la pale donnera son rendement maximum avant même de choisir la verticale.

Même si le décalage est léger, en ajoutant, pour une rotation, l’action combinée des 3 pales, on comprend que la somme des poussées va agir sur un axe décalé par rapport à la verticale du c.g.

Avec l’effet de précession gyroscopique, le plan de rotation va basculer différemment d’une forme neutre : le boomerang va rester plutôt vertical et obtenir ainsi une trajectoire à tendance descendante. Même un très léger décalage sera suffisant pour faire varier la trajectoire.

Résumé en dessins

1er cas : forme neutre

fig48

La poussée virtuelle (1) va engendrer, par effet de précession gyroscopique, une réaction réelle en (2). Le plan du boomerang se couchera donc progressivement et la trajectoire sera classique.

2ème cas : pales courbées vers l’arrière

fig49

La poussée virtuelle (1) décalée vers l’avant de l’axe du c.g. va engendrer, par effet de précession, la réaction réelle (2) également décalée et accentuant le couché du plan du boomerang. La trajectoire obtenue tendra alors à être ascendante.

Ne pas confondre ce cas où la trajectoire reste courbe avec le cas où le boomerang manque de profil, se couche et monte à plat sans réel retour !

3ème cas : pales courbées vers l’avant

fig50

La poussée virtuelle (1) décalée vers l’arrière va engendrer, par effet de précession, une réaction réelle (2), également décalée et agissant de manière à retarder le couché du boomerang, voire incliner le plan du boomerang vers l’intérieur. On va ainsi obtenir une trajectoire à tendance descendante (type boom de vitesse).

Un grand merci à Didier BONIN qui a autorisé la publication de son étude.